En cas de harcèlement au travail, comment porter l’affaire en justice ?

Réponse

Le salarié victime de harcèlement au travail peut agir en justice soit au civil, soit au pénal.
S'il agit au civil, il doit saisir le conseil de prud'hommes. Ses possibilités d'actions sont multiples.
Le salarié peut demander au juge :

·        de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, même si l'employeur n'est pas l'auteur direct des agissements. Celui-ci est en effet astreint à une obligation de sécurité qui est une obligation de résultat. Il se doit de garantir la sécurité physique et mentale des salariés au travail. En cas de harcèlement avéré, l'employeur est présumé avoir manqué à l'une de ses obligations fondamentales qui découlent du contrat. Dans cette hypothèse, le salarié est recevable à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, assortie de dommages et intérêts. La Cour de cassation juge alors que la résiliation judiciaire du contrat de travail d'une salariée victime de harcèlement sexuel produit les effets d'un licenciement nul dès lors que l'employeur a manqué à son obligation de prévention en ne mettant pas en œuvre des actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de tels faits, et en ne prenant pas toutes les mesures propres à mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel dénoncés par l'intéressée ;
·        de reconnaître que la prise d'acte de rupture du contrat de travail soit qualifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette hypothèse recouvre la situation du salarié qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison même des faits de harcèlement moral dont il se dit victime. Il a donc quitté l'entreprise du fait même de ces agissements et demande au juge de reconnaître que s'il a agi ainsi, c'est parce qu'il était victime de harcèlement moral. Si ces faits sont avérés, le juge qualifiera la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si les faits ne sont pas avérés, la prise d'acte sera considérée comme une démission et le salarié ne pourra prétendre à aucune indemnisation ;
·        de prononcer la nullité de son licenciement. Cette hypothèse recouvre la situation suivante : l'employeur a licencié le salarié alors qu'il était en arrêt maladie prolongé dû au harcèlement moral dont il se dit victime. Si les faits sont avérés, le licenciement est nul, la victime peut demander sa réintégration (hypothèse fort peu probable) ou des dommages et intérêts. Dans l'hypothèse où le salarié formule une demande de réintégration, le juge qui a constaté la nullité du licenciement ne peut pas se faire juge de l'opportunité de cette demande et la refuser au motif que la dégradation des relations de travail aurait atteint un point de non-retour. Seule une impossibilité matérielle de procéder à cette réintégration peut justifier un tel refus.

En revanche, la victime d'un harcèlement moral ne peut pas demander au juge prud'homal d'ordonner à l'employeur d'écarter le salarié harceleur de ses fonctions.
Attention : en cas d'action de la victime devant le conseil de prud'hommes, l'employeur ne devra pas attendre la décision de ce dernier pour prendre une sanction disciplinaire contre le salarié harceleur. En effet, il reste soumis au délai de 2 mois, à partir de la connaissance des faits, pour agir.
Devant les juridictions civiles, le salarié bénéficie d'un aménagement de la charge de la preuve en matière de harcèlement :

·        le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ;
·        le juge doit apprécier ces éléments dans leur globalité et indiquer s'ils sont suffisants pour faire naître l'existence d'une présomption de harcèlement ;
·        dans l'affirmative et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
·        le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Le salarié peut aussi agir au pénal devant le tribunal correctionnel pour délit de harcèlement moral. Il peut alors, soit déposer une plainte auprès des services de police judiciaire (police ou gendarmerie) soit auprès du procureur de la République. Il peut également saisir directement le tribunal correctionnel (citation directe) ou le doyen des juges d'instruction du TGI pour désigner un magistrat.
L'action doit nécessairement être dirigée contre l'auteur direct des agissements de harcèlement.
Lorsque le salarié victime de harcèlement saisit le juge judiciaire (conseil de prud'hommes), il doit agir dans le délai de prescription de 5 ans (le délai de 2 ans défini à l'article L. 1471-1 du Code du travail n'étant pas applicable aux situations de harcèlements et de discrimination).
S'agissant d'un délit, l'action pénale doit être engagée, quant à elle, dans le délai de 6 années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise.
S'agissant d'actes répétés de harcèlement moral, comment ce délai de 6 ans doit-il se calculer ? Pour la Cour de cassation, la prescription du délit de harcèlement moral, lequel n'est caractérisé que par la répétition de propos ou comportements, commence à courir au jour du dernier acte manifestant l'état d'habitude. La Cour de cassation précise que la prescription n'a commencé à courir, pour chaque acte de harcèlement incriminé, qu'à partir du dernier.
 
Intervention des représentants du personnel
Les représentants du personnel peuvent conseiller le salarié.
S'agissant d'une atteinte aux droits des personnels, les représentants du personnel peuvent déclencher leur droit d'alerte.
Les organisations syndicales représentatives peuvent agir en justice pour le compte du salarié : elles doivent cependant justifier d'un accord écrit de l'intéressé qui peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment.
 
Références aux textes officiels
C. trav., art. L. 1154-1 et L. 1154-2 (action en justice), L. 1155-2 (action au pénal)
C. pénal, art. 222-33-2 (sanctions pénales)
Cass. soc., 24 mai 2011, n° 10-87.100 (l'action doit nécessairement être dirigée contre l'auteur direct des agissements de harcèlement et elle doit être exercée dans les trois ans à compter du dernier agissement de l'auteur)
Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902 (l'employeur ne peut attendre une décision prud'homale pour licencier le salarié coupable de harcèlement)
Cass. soc., 13 décembre 2017, n° 16-14.999 (résiliation judiciaire du contrat en cas de harcèlement)
Cass. soc., 14 février 2018, n° 16-22.360 (sauf impossibilité matérielle de procéder à la réintégration du salarié harcelé, le juge ne peut pas refuser sa réintégration)
Cass. crim., 19 juin 2019, n° 18-85.725 (la prescription du délit de harcèlement moral ne commence à courir qu'à partir du dernier agissement constitutif de l'infraction)